La Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliees aux differences culturelles (CCPARDC), instituee le 8 fevrier 2007 par le gouvernement du Quebec, a rapidement depasse les termes de son mandat initial, ouvrant ainsi la voie a une discussion sur les parametres de l'identite partagee au Quebec. Lancee au plus fort de la "crise" des accommodements raisonnables, la Commission visait a repondre aux mecontentements souleves par la perception d'une intensification des accommodements destines aux minorites ethnoculturelles et religieuses. (2) Bien que, selon certains, les consultations publiques furent loin d'incarner un veritable exercice de democratie deliberative (Cote 2008), la Commission a neanmoins permis des echanges francs sur l'immigration, l'integration, la nature de l'identite quebecoise, les rapports entre cultures, et, plus fondamentalement, les rapports entre majorite et minorites. L'enjeu des accommodements en fut d'ailleurs un d'importance dans la campagne electorale provinciale de 2007, ce qui a certainement contribue a la popularite de l'Action democratique du Quebec, un parti jusque-la faiblement soutenu par l'electorat. Or, le gouvernement n'ayant toujours pas entierement donne suite au rapport, un des commissaires affirmait en mars 2011 que "les malaises ne sont toujours pas gueris" (Gruda 2011).
Cet article propose une reflexion sur la nature meme de ces malaises. Nous presentons les resultats d'une analyse de discours des memoires deposes a la CCPARDC par les groupes de la societe civile quebecoise. Dans le cadre de cette recherche, 158 memoires d'associations ou d'institutions de la societe civile ont ete selectionnes et plus de 560 enonces ont ete retenus, classes puis analyses a travers une grille qui prend en compte les sentiments "majoritaires" et "minoritaires." A cet effet, nous avons compare le discours des organisations francophones avec celles des groupes ethnoculturels ou non francophones afin d'identifier les facteurs expliquant leur crainte et leur confiance, de meme que leurs implications sur leur capacite a engager une conversation avec l'autre.
La conclusion principale de l'analyse des memoires revele que le rapport de la Commission a porte une tres large attention aux craintes de la majorite francophone, occultant au passage les craintes des groupes ethnoculturels ou non francophones. Si la crainte fut en effet centrale, la crise des accommodements raisonnables revele bien plus qu'un probleme de perceptions. Les approches culturalistes de la crise sous-evaluent la signification des craintes realistes et structurelles, exprimees par les groupes ethnoculturels, qui portent pourtant un regard severe sur les normes sociales dominantes. Ce faisant, elles tendent a deproblematiser les rapports que la majorite entretient avec ces groupes, a assumer un statu quo generalement favorable au pluralisme, et ainsi en faire un probleme de mentalites. Du coup, elles tendent a normaliser les relations et la logique de domination en evitant de questionner les hierarchies normatives, socioeconomiques, et culturelles, ce que revelent pourtant ces craintes. Il est donc necessaire de revoir notre approche de la crainte et des inquietudes, et du fait meme, de la crise des accommodements raisonnables.
Cet article se compose de cinq parties. Il sera d'abord question des debats academiques post-Commission portant sur la nature de cette...
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